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2 novembre 2007 5 02 /11 /novembre /2007 08:25
Communiquer pour penser…
 
Selon Chomsky, il faut refuser la phrase « si seulement tout le monde pensait comme moi ! », plutôt prôner le « si tout le monde pensait ! »
 
Parce que l’individu soumis aux manipulations du pouvoir social du langage sent tout de même émerger en lui un besoin certain d’autonomie, face à toute situation de domination, il ressent une tension ou une anxiété, signe de sa désapprobation à un ordre de l’autorité. L’individu, pour faire baisser cette tension n’a pour solution la plus radicale, que la désobéissance, mais le fait « inconscient » qu’il ait accepté de se soumettre peut l’obliger à continuer d’obéir longtemps…jusqu’à ce qu’un seuil soit atteint et qu’il réalise enfin qu’il est capable de mobiliser ses ressources intérieures, et de les transformer dans un domaine situé au-delà de l’aliénation morale établie et des objections correctement formulées. Alors, il peut se servir du langage, non plus comme un outil de manipulation, mais un outil de pensée objective capable de clarifier les choses, de démonter les mécanismes de pouvoir dans les discours dominants les rendant obscures pour revenir à sa vocation première. Ainsi, mettre en œuvre ce cerveau gauche qui fait de lui un être « dit supérieur » à bon escient, et exprimer par le langage ses pensées les plus saines, avec pour seule motivation de bousculer l’ordre pré- établi collectivement, et les idées préconçues afin de faire émerger de sa conscience individuelle les idées d’un changement possible, point de départ de l’évolution de l’espèce… On entre là dans le « véritable exercice » du langage humain, celui d’exprimer une pensée « réfléchie », donc une idée, à l’aide de signes gestuels ou verbaux. Il s’agit donc là de la vocation logique du langage.
 
Nous vivons spontanément dans le langage, comme un poisson vit dans l’eau et cela depuis le berceau de l’humanité: la pensée raisonnant dans le langage, elle se moule dans des mots pour se trouver et pour se dire. Elle suppose alors une logique et une connaissance qui prennent une forme rationnelle et se structure de manière conceptuelle. Cette pensée conceptuelle chez l’homme ne se développe vraiment que dans l’usage des signes (surtout verbaux), symboles d’une réalité posée par la pensée, qui correspond à la manière dont la pensée réfléchie s’exprime chez lui, d’où l’intérêt de bien choisir ses mots pour parler. C’est ce qui intéresse les linguistes contemporains. Ces mots nous permettent de nommer des aspects complexes de la réalité. Si une valeur élémentaire de ces mots montre qu’ils ont pour vocation de transmettre des informations, ils vont beaucoup plus loin dans la communication d’un sens… donc dans la signification. On peut alors admettre que le sujet conscient, tant qu’il n’a pas formulé ses pensées, demeure enclôt dans une sphère subjective, qui ne prend pas forme objective. « S’ex-primer », c’est sortir du moi pour prendre conscience de sa propre pensée à travers les mots. Il serait illusoire de croire que la pensée réfléchie puisse se passer des mots. Ainsi, selon Hegel, « la pensée ne devient précise que lorsqu’elle trouve le mots, la pensée trouve sa réalité dans l’expression du langage, car avant, elle peut n’avoir qu’un fantôme d’existence et l’esprit peut être dans la plus complète confusion tout en s’imaginant qu’il pense quelque chose alors qu’il ne sait même pas ce qu’il pense ». Ainsi je ne suis conscient de ce que je pense, qu’à partir du moment où je suis capable de le formuler. Tout le travail réside donc dans le fait de se façonner une pensée précise, nuancée et complexe, et surtout de disposer des moyens nécessaires pour l’exprimer : l’instruction (et là déjà, nous ne sommes pas tous égaux), la neutralité de l’information, l’autonomie de pensée…et le recul objectif face à toute situation, sans quoi la pensée et donc le langage sont vite étourdis ! Et là, la pensée exprimée devient un véritable acte créateur permettant une invention permanente de signification et une évolution possible des cultures. Ainsi, il est possible d’user de toute la magie des mots par l’expression littéraire qui est capable de métamorphoser un matériau brut reçu de la langue ordinaire pour dépasser les limites du langage du concept rationnel, reflet d’une pensée de toute beauté. Et éveiller le langage en utilisant des « figures de style »bien utilisées permet de suggérer un sens qui ne se découpe pas en concepts rationnels. Il faut aller dans cette direction pour s’émanciper des contraintes du langage conceptuel, parce que la théorie intellectualiste a ses limites…
 
« C’est une gêne sérieuse pour moi quand je rédige, et plus encore quand je m’explique de ne pouvoir penser aussi facilement en mots qu’autrement… Il arrive souvent, après avoir durement travaillé et être arrivé à des résultats qui sont parfaitement clairs pour moi, que quand je veux les exprimer en mots, je sens que je dois commencer par me mettre sur un plan intellectuel tout à fait autre. J’ai à traduire mes pensées dans un langage qui ne me vient pas facilement. Je perds donc beaucoup de temps à chercher les mots et les phrases appropriés, et je me rends compte que lorsqu’on me demande de prendre la parole à l’improviste, je suis souvent obscur par maladresse verbale et non par manque de clarté dans la conception ». Voici une réflexion qui devrait amener l’intellectualiste à penser que l’esprit est trop confus et obscur pour être exprimé tout simplement, sauf qu’il s’agit ici de la déclaration d’un génie des mathématiques, Galon ! On touche par cet exemple le problème du passage dans le langage rigide et formalisé de la pensée intuitive. En effet, formés à être intellectuels, et à brasser des mots communs à tous, exprimer l’intelligence intuitive propre à chacun, demande de transcender les lois de la verbalisation conventionnelle. Tout comme le vécu, personnel avant tout, qu’il n’est pas évident de mettre en mots. Par exemple, chaque être est singulier, possède un vécu original et ressent des sentiments distincts. Il n’est pas rare de ne pas trouver les mots pour exprimer ses sentiments, car le passage de l’expression du sentiment même à travers le langage n’est possible qu’en le déformant, qu’en le réduisant ou de toute façon, en le rendant impersonnel. Ainsi, le langage conventionnel est fait de banalités certes utiles pour la communication, mais il n’est pas adapté à l’expression subtile du vécu de chacun : pour qu’il soit à la hauteur, il faudrait qu’il dispose d’autant de nuances qu’il peut y avoir de degrés de sentiments ! Le langage, tel qu’il est utilisé dans les rapports pratiques (fonction sociale) demeure par nature banal, pauvre, anonyme et impersonnel. C’est pourtant le principal outil à notre disposition pour traduire notre vécu personnel, ce qui est enfoui au plus profond de nous et qui mérite d’être exprimé pour poursuivre notre chemin d’évolution… nos sentiments certes, mais aussi tous les phénomènes inconscients, qui relèvent d’autre chose que de la pensée mentale, rationnelle, donc qui ne peuvent pas être exprimés justement par un langage intellectualisé.
 
Donc, s’il est légitime d’estimer avoir tout dit sur la vocation du langage en disant qu’il sert à penser, il est impératif de considérer, que sur le chemin de l’évolution humaine, l’étape suivante consiste à prendre conscience, qu’il doit y avoir une pensée au-delà du mental, et que le langage, dans sa vocation la plus noble, doit servir à révéler ce qui EST au-delà de l’intelligible… dans le sensible de chacun ! Et cela n’est possible qu’en faisant émerger d’autres potentialités créatrices du langage…
 
A suivre…
 
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