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24 décembre 2010 5 24 /12 /décembre /2010 13:44

 

« Quand la machine neuronale existe, il lui faut un contenu, car elle ne peut fonctionner à vide. Le cerveau est un instrument, un moyen, mais nullement une fin en soi. Si le dressage neuronal suit la possibilité nerveuse, il lui faut une finalité : on dresse quoi ? Pourquoi ? Selon quels critères ? Toute éducation suppose un dessein. Sans un objectif clairement déterminé, l’éthique ne présente aucun intérêt. Quelle règle du jeu mérite les efforts et l’adhésion ? Que nous rend-elle désirable ?

Réponse : une intersubjectivité pacifiée, joyeuse, heureuse ; une paix de l’âme et de l’esprit ; une tranquillité à être ; des relations faciles avec autrui ; un confort dans l’interaction des hommes et des femmes ; une artificialisation des rapports et leur soumission aux pointes les plus élevées de la culture : le raffinement, la politesse, la courtoisie, la bonne foi, le respect de la parole donnée ; la cohérence entre les paroles et les faits. En d’autres mot, la fin de la guerre, l’évitement des logiques de domination et de servitude, le refus du combat pour la domination réelle ou symbolique des territoires, l’éradication de ce qui reste de mammifère en nous : plus brièvement : la soumission drastique de l’animal en chacun et la naissance de l’humain en l’homme.

Voilà l’idéal…(…)

Nous sommes des êtres humains et, en tant que tels, doués du pouvoir de communiquer. Par le langage, en premier lieu, bien sûr, mais par mille autres signes assimilables à l’émission d’un message, à son décodage, sa réception et sa compréhension par un tiers. La communication non verbale, gestuelle, les mimiques du visage, les postures du corps, le ton de la voix, les inflexions, le rythme et le débit de parole, le sourire informent de la nature d’une relation. Au degré 0 de l’éthique se trouve la situation. Premier degré : la prescience du désir de l’autre. (…) La morale chrétienne invite à l’amour du prochain comme soi-même pour l’amour de Dieu. (…) Dans la perspective hédoniste, le désir du plaisir d’autrui active le mouvement vers soi ; l’activation du déplaisir d’autrui enclenche le mouvement inverse. (…)

L’hédonisme suppose donc un calcul permanent afin d’envisager, dans une situation donnée, les plaisirs escomptés, mais aussi les déplaisirs possibles. (…) Epicure explique cette règle mathématique : ne pas consentir à un plaisir ici et maintenant s’il doit être payé plus tard par un déplaisir. Y renoncer. Mieux : choisir un déplaisir dans l’instant s’il conduit plus tard à la naissance d’un plaisir. Eviter, donc, la pure jubilation instantanée. Car jouissance sans conscience n’est que ruine de l’âme…La somme des plaisirs doit toujours l’emporter sur celle des déplaisirs. La souffrance, dans toute éthique hédoniste, incarne le mal absolu. Souffrance subie, souffrance infligée, évidemment. En conséquence, le bien absolu coïncide avec le plaisir défini par l’absence de troubles, la sérénité acquise, conquise et maintenue, la tranquillité de l’âme et de l’esprit. Ce jeu conceptuel peut paraître complexe, cette tension mentale donne l’impression d’une impraticabilité radicale, ce souci permanent du tiers, cette scène éthique montée en permanence, ce théâtre moral sans répit laisse croire à une proposition titanesque, intenable, pas plus viable que la morale judéo-chrétienne de la sainteté.

A l’évidence, mais seulement si manque en amont le dressage neuronal qui permet d’intégrer sous forme réflexe cette façon de faire. Car si une éducation morale préexistent que les faisceaux nerveux fonctionnent correctement, cette arithmétique n’exige pas d’efforts pénibles. Au contraire : la fluidité avec laquelle elle se pratique génère même une jubilation. Car il existe un réel plaisir à être éthique et à pratiquer la morale. (…) Or, la morale, art du détail, triomphe dans l’incarnation modeste : un mot, un geste, une phrase, une attention, voilà le jeu de l’éthique. (…) Ainsi, parmi la quantité de grandes vertus du genre le Bien, le Beau, le Vrai, le Juste, on chercherait en vain une vertu minuscule capable de produire des effets magnifiques. (…)

 

« La puissance d’exister » Michel ONFRAY

 


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